Salle de bal, salle de spectacles et cafés.

        Autrefois, à la Belle Epoque, le rez-de-chaussée de ma maison natale était occupé par un dancing, comme on ne disait pas encore.  Parlons plutôt de salle de bal  pour désigner El Sarrau, où je me plais à imaginer, dans un décor Art Nouveau, les évolutions de galants moustachus et de Casque d'Or de province.  Il paraît que mon arrière-grand-père François, dans ses jeunes années turbulentes, enfourcha lestement sa bicyclette posée devant l'établissement,  faussant compagnie à trois pandores qui voulaient la lui confisquer, car elle était dépourvue de plaque réglementaire.
        A quelques pas de là et trente ans plus tard, quand ma mère était petite fille, on pouvait assister au Café Glacier à des spectacles variés.  Ce café comportait une scène, où l'on donnait des petites pièces de théâtre jouées par des comédiens plus ou moins amateurs.  Attenante au café et communiquant avec lui par un corridor, une vaste salle rectangulaire accueillait toutes les fêtes et réunions à caractère culturel et associatif du quartier:  bals, théâtre, projection de films, ventes aux enchères, etc. .   L'une des largeurs de ce rectangle était occupée par une tribune,  l'autre par une estrade.  Entre les deux, sur le parterre, on pouvait aligner quelques rangées de sièges rabattables.  Sur les deux longueurs du rectangle courait une galerie pour les spectateurs mobiles.  Quand il y avait projection de film, la salle des fêtes se transformait en salle de cinéma.  Au-dessus de l'estrade était tendue une immense toile de lin blanc, sur laquelle se déroulaient les aventures désopilantes de Charlot, de Buster ou de Beaucitron.
Au pied de l'estrade, sous l'écran, trônait un piano.  Cet instrument servait à accompagner musicalement les fims muets de l'époque.  L'officiant était un certain Monsieur Batifort.  Ce brave homme n'avait jamais appris la musique.  Il jouait à l'oreille, d'instinct.  Néanmoins, il s'acquittait honorablement de sa tâche et jouissait d'un certain prestige auprès de son auditoire populaire.  Dans les grands jours, il se lançait même, en virtuose, dans l'interprétation de Sur le beau Danube Bleu.
        Au temps de mon enfance, dans les années 1950, le Café Glacier existait toujours, mais sa salle des fêtes était devenue, définitivement, une salle de cinéma, le Star Ciné, dont j'aurai à reparler.  Mais auparavant, faisons une brève visite à l'autre café, le S.O.P. .  Rebaptisé aujourd'hui Ambiance Bar, c'était un établissement tenu par une vieille dame.  Elle gardait une réserve un peu bourrue au milieu des hommes, qui venaient chez elle boire un bock de bière ou un byrrh à l'eau de Seltz.  On y jouait à la manille, au truc*, on y lisait le journal.  Pépé Joseph avait l'habitude d'aller chez la vieille, le samedi soir, pour y lire L'Illustration, tout en dégustant le petit verre de fine, qui mettait sur la table de marbre comme un point final à la semaine de travail.


*jeu de cartes catalan.

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