DEMEURES D'ENFANCE

                                         On est de son enfance comme d'un pays.


      
                                                                          Antoine de Saint-Exupéry

DEMEURES D'ENFANCE, le Livre.

Amis Lecteurs,


 DEMEURES D'ENFANCE, chronique personnelle des années 1943-1960 existe aussi sous forme de Livre papier ou à télécharger 


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En ce temps-là, au Moyen Vernet...

        Je suis né le 13 octobre 1943 dans la ville de Perpignan, au 121 de l'avenue Maréchal Joffre. Notre quartier du Moyen Vernet s'ordonnait autour de cette avenue, interminable prolongement rectiligne de la Nationale 9, et du confluent de deux canaux d'irrigation issus des jardins maraîchers voisins.  Ces canaux, que nous appelions des ruisseaux, coulaient entre des rives depuis longtemps colonisées par de beaux arbres - chênes, frênes, aulnes -.  Ils dérivaient de la Boule, petite rivière qui prend sa source dans la partie orientale du Fenouillèdes, du côté du Col de la Dona, dans des collines grises chapeautées de pins et fourrées de thym.

       La mémoire de ma famille* retient l'anecdote d'une bonne femme qui descendait à pied de ces parages à la ville, distante d'une vingtaine de kilomètres.  Elle venait d'Estagel en traversant d'autres villages, dont elle francisait les noms de manière cocasse.  Calce devenait "Pantalon" et Peyrestortes "Pierres Tordues".  Ce genre de trajet à pied n'était pas rare vers 1930, époque, où la plupart des villageois ne voyaient encore des automobiles que dans les pages de "l'Illustration" ou sur les images du calendrier des P.T.T.  .  A soixante-dix ans, mon grand-père François, s'étant rendu en autobus à Rivesaltes pour l'enterrement d'un ami, n'avait pas eu la patience d'attendre le véhicule pour le retour et était rentré à pied à Perpignan, marchant une dizaine de kilomètres sur le bas-côté de la route en souliers de ville.  Les soirs d'été, les pêcheurs à la ligne des quartiers citadins riverains de la Têt partaient, joyeux, bavardant et chantant, les uns à bicyclette, les autres à pied , leurs cannes et leurs parapluies attachés au cadre de leur machine ou portés en bandoulière, pour Sainte Marie la Mer, à trois lieues de là.


 * Je dois la plupart des histoires et anecdotes, qui se rapportent au temps d'avant ma naissance, à ma mère, véritable mémoire vivante de la famille.                                                                                                                                                  


                                                                                                                                                                                                                                                      

A petite et à grande vitesse.

        Mes arrière-grands-parents parcouraient le même trajet à bord d'une carriole tirée par un âne.  Ce brave animal s'appelait Marteau.  Un jour, au beau milieu du parcours, il s'arrêta pour brouter l'herbe du talus et refusa d'aller plus loin.  Mon arrière-grand-père François, qui avait une passion pour tous les équidés, ne fit aucune violence à Marteau et attendit patiemment qu'il voulût bien se remettre en route.  L'équipage arriva fort tard à Sainte Marie, où le reste de la famille commençait à s'inquiéter.  A peine dételé, l'âne se roula sur le sol de terre battue, lançant ses quatre pattes en l'air, manifestement heureux d'être arrivé.  Mon bisaïeul aimait aussi l'automobile.  Au volant de la C4 Citroën familiale, il conduisait le pied au plancher.  Bonne-Maman Joachime, son épouse, le suppliait, tandis que l'aiguille du compteur restait bloquée à quatre-vingt-dix à l'heure :  Jésus, Marie, Joseph! François, va moins vite!.  Mais le démon de la vitesse possédait le brave homme et il ne cédait jamais aux objurgations de sa femme, qui invoquait en vain tous les saints du ciel.



                                                                  

Aux lendemains de l'Occupation.

      Mais revenons au Moyen Vernet.  Les deux ruisseaux qui l'irriguaient confluaient un peu en amont de la maison de mes grands- et arrière-grands-parents maternels.  Dans les années 1950, j'y ai encore vu des lavandières lancer leurs draps savonneux dans le courant, qui prenait alors une teinte laiteuse et bleutée.  C'étaient des eaux poissonneuses, où vivaient des goujons, des barbillons, des chevesnes et des anguilles.  Nous autres, galopins du quartier, y pataugions pieds nus, au risque de nous couper à des tessons de verre, pour traquer avec un trident improvisé (une fourchette aplatie au marteau et fixée au bout d'un bâton) quelque petit poisson.  Nous le capturions quelquefois à l'aide d'un bocal et l'emportions pour le faire nager jusqu'au bassin de granit rose de la pompe voisine.  C'était une grande roue de métal, qu'il fallait actionner à la force des bras.  Vers le soir, les rats sortaient en troupe sur les berges.  Mon oncle René les tirait à la carabine depuis le balcon de la maison.  Un rat en quête de rapine s'introduisait parfois dans le laboratoire de notre charcuterie,  au 121 Avenue Joffre.  Mon père, qui nourrissait une véritable phobie à l'égard de ces animaux, faisait alors appel au fox-terrier d'un voisin pour éliminer le nuisible.  Dans sa jeunesse, mon père s'était blessé avec une carabine. Tout à son affût des grives, il tenait l'arme pointée sur son pied.  Il ne s'expliqua jamais comment il avait pressé la détente.  Il avait gardé toute sa vie des petits plombs dans le pied.
      Sous l'Occupation, nous étions réfugiés dans un mas, à Corneilla de la Rivière.  J'avais dix mois.  Les restrictions alimentaires sévissaient.  Il n'était pas question de chasser dans la campagne avec une arme à feu, fusils et carabines étant évidemment interdits par l'occupant.  Alors, mon père tendait des collets dans la garrigue.  Le 15 août 1944, il captura un magnifique lièvre.  Ce fut pour toute la maisonnée un festin mémorable en ces temps de famine, où mon grand-père Joseph parcourait à bicyclette la quinzaine de kilomètres séparant Perpignan de Corneilla , pour nous apporter le trésor d'une livre de sucre.  Le souvenir de la faim ne s'effaça jamais tout à fait de la mémoire de ceux qui avaient vécu cette époque. Mes parents eurent toujours la peur de manquer, selon l'expression si juste d'Yves Berger*.  Ils ne se sentaient rassurés qu'une fois le garde-manger garni.  La question rituelle qu'ils posaient à leurs enfants, lorsqu'ils se furent éloignés d'eux, était :  Tu manges bien, au moins ? Les mots d'amour passent parfois par la cuisine...


* Les Matins du Nouveau Monde






                                                                

" Charcuterie lyonnaise ".

       Chez nous, on observait trois principes essentiels:  le courage au travail, l'honnêteté et le bien-manger.  Ils trouvaient à s'exercer dans notre commerce.  Notre enseigne portait " Charcuterie lyonnaise  " comme un écu porte une devise .  Nos spécialités - rosettes, saucissons de Lyon, saucissons de volaille à la pistache, aspics, galantines, etc. - , héritées de mon grand-père François, qui avait travaillé dans la capitale rhodanienne pendant vingt-cinq ans, étaient authentiques et appréciées des connaisseurs .  La gastronomie était donc élevée chez nous au rang d'art de vivre et la cuisine, en effet, était un art.  Ceux qui savaient le pratiquer travaillaient pour ceux qui savaient l'apprécier.  Pour autant, notre charcuterie ne laissait pas de proposer aussi les produits du terroir catalan - butifares , costellos, barbufat* , etc.  Il ne fallait quand même pas désarçonner les braves gens du quartier à force d' "exotisme"...
       Le courage au travail, j'en avais l'exemple chaque jour sous mes yeux.  La journée de mon père commençait à cinq heures:  fabrication artisanale, ouverture du magasin, vente, préparations pour le lendemain, nettoyage, et se terminait vers vingt et une heures.  Ma mère servait souvent les clients au magasin et prenait sa part des vaisselles géantes (casseroles et cuves de fabrication), tout en assurant le train de maison d'une famille de six personnes.
       C'était dur, malgré l'aide que lui apportaient certains jours de la semaine de braves femmes en noir, qui venaient à la maison coudre, laver ou repasser.  Je dirai un mot de vous, Anna, Berthe, Léandre. Vous étiez de ces modestes et précieuses travailleuses, grâce auxquelles les maîtresses de maison pouvaient remplir leur mission domestique.  Vous faisiez un peu partie de la famille.
       Mon père n'eut longtemps que le dimanche après-midi pour se reposer, jusqu'à ce que le lundi devînt jour de fermeture officiel.  Il ne s'accordait que huit (exceptionnellement quinze) jours de congé par an, pour lesquels il venait nous rejoindre dans notre maison de Sainte Marie.  C'est là que nous passions nos vacances d'été, ma mère, mon frère et ma soeur, Pépé François et moi.  En dehors de cette parenthèse de l'été, notre grand-père tenait à prêter la main à notre père, son fils cadet, dans la fabrication de nos produits.  Mal résigné à la retraite, il observait avec le plus grand intérêt les mouvements de notre clientèle, notant les fidèles, pointant les intermittents, les capricieux, stigmatisant les traîtres qui nous quittaient pour la concurrence.
        L'honnêteté se confondait avec l'honneur.  On y eût manqué en volant le client ou en le trompant sur la qualité de la marchandise.



* boudins noirs, travers de porc, saindoux.

Le microcosme du Moyen Vernet.

        Le Moyen Vernet était un quartier populaire de commerçants et d'artisans.  Les boutiques, les ateliers, petites et moyennes entreprises,  se succédaient  sur les deux rives de l'avenue Joffre. Du nord au sud, sur la rive droite en se dirigeant vers le centre-ville, on trouvait :  la menuiserie Domenjo-Soler, la cimenterie Lacambra, le garage Vauxhall, l'atelier de Madame Almar, la matelassière, qu'on voyait, la tête enturbannée, assise à califourchon sur le banc de son métier, environnée de blancs flocons, carder la laine à même le trottoir.  Venaient ensuite le magasin de presse Mir, la miroiterie de Dieuleveut, notre charcuterie, l'épicerie Culat, la rizerie Belloch, le plombier Dabazach, l'expéditeur Mirous, la laitière Honorine avec son étable et ses vaches, l'épicerie Cerqueda, la  boucherie Gilabert, le Café Glacier, les Docks Méridionaux (une autre épicerie).  Sur la rive gauche s'alignaient :  l'ébénisterie Salat, le garage Lelong, les établissements Marty, négociant en vins et spiritueux, l'épicerie Danjou, la cordonnerie Béguer, la droguerie Duteil, la boulangerie Roitg (les boulangers, Charles et Josette, étaient des amis de mes parents), la marbrerie Vergès, le café du S.O.P. (Stade Olympique Perpignanais), l'épicerie Centrale, qui fut tenue par mes grands-parents maternels jusqu'en 1951, le salon de coiffure Charrelier, la mercerie de Madame Fabre, le bureau de tabac de Madame Millau, la charcuterie Verdaguer, un confrère avec lequel nous avions de bons rapports.  Cette courtoisie était d'ailleurs de règle entre nous, voisins et confrères plutôt que concurrents.  Quand un article venait à manquer, mon grand-père Joseph dirigeait le client vers les Docks Méridionaux, sur le trottoir d'en face et les Docks faisaient de même en pareil cas, adressant le chaland à l'épicerie Centrale.  Il y avait toutefois une exception:  le garagiste P., dont l'atelier était contigu à notre maison, s'obstinait à obstruer notre devanture avec ses tacots.  Des prises de bec avaient lieu régulièrement à cause de cela entre mon père et lui.  C'était une guéguerre, qui ne donna lieu à aucun procès.  Un jour, cependant, mon père exprima son exaspération en déversant un seau d'eau sur les sièges de ces véhicules indésirables. 
        Nous cherchions à nous faire travailler les uns les autres.  Pour notre part, nous essayions d'acheter équitablement chez deux ou trois épiciers.  Vers l'âge de huit, neuf ans, je partais avec mon cabas faire les commissions dans les commerces voisins.

Voisins, voisines.

        De ce microcosme urbain, avec ses scènes de rue pittoresques, dont les acteurs étaient de braves gens aux allures et au langage faubouriens, on peut se faire une idée en feuilletant un album de photographies de Robert Doisneau.  Oh, bien sûr, ce n'était pas Paris ni sa banlieue.  Nous en étions bien loin, perdus au fin fond de la carte de France...  Pourtant, alors que le quartier de mon enfance avait perdu cet aimable visage depuis longtemps, il m'est arrivé d'en retrouver la charpente, l'atmosphère conviviale et bonhomme dans certaines rues et sur certaines places de Paris ou de Lyon.  Quelques exemples suffiront à illustrer la cordialité, la familiarité, qui rapprochaient les habitants du Moyen Vernet.  Du temps, où mes grands-parents maternels tenaient l'épicerie Centrale,  les habitués avaient leur banc pour ainsi dire réservé dans la boutique.  C'étaient des hommes qui venaient discuter,  faire la cigarette, boire le verre de blanc, que le patron, mon grand-père Joseph, tirait de son tonnelet et versait gratis.  Au magasin, mon père aimait plaisanter et rire avec les clients.  On venait tout autant pour acheter que pour passer un agréable moment.  Les soirs d'été, voisins et voisines prenaient le frais dans la rue.  Après le repas du soir, on sortait sa chaise sur le seuil de sa maison ou carrément sur le trottoir.  Les conversations allaient bon train, les histoires drôles circulaient, les rires fusaient, et les cris de frayeur des commères, quand un serpentin chinois, lancé d'une main sournoise et taquine par Pépé Joseph, pétaradait entre leurs jambes dans une gerbe d'étincelles écarlates.  On ne s'ennuyait pas et le temps de la veillée passait vite...
        Le quartier, commerçant et industrieux, avait aussi ses lieux de loisirs:  les deux cafés, dont j'ai déjà parlé, et une salle de cinéma.  Nous les retrouverons sans tarder, après avoir évoqué leurs ancêtres, en quelque sorte.

Salle de bal, salle de spectacles et cafés.

        Autrefois, à la Belle Epoque, le rez-de-chaussée de ma maison natale était occupé par un dancing, comme on ne disait pas encore.  Parlons plutôt de salle de bal  pour désigner El Sarrau, où je me plais à imaginer, dans un décor Art Nouveau, les évolutions de galants moustachus et de Casque d'Or de province.  Il paraît que mon arrière-grand-père François, dans ses jeunes années turbulentes, enfourcha lestement sa bicyclette posée devant l'établissement,  faussant compagnie à trois pandores qui voulaient la lui confisquer, car elle était dépourvue de plaque réglementaire.
        A quelques pas de là et trente ans plus tard, quand ma mère était petite fille, on pouvait assister au Café Glacier à des spectacles variés.  Ce café comportait une scène, où l'on donnait des petites pièces de théâtre jouées par des comédiens plus ou moins amateurs.  Attenante au café et communiquant avec lui par un corridor, une vaste salle rectangulaire accueillait toutes les fêtes et réunions à caractère culturel et associatif du quartier:  bals, théâtre, projection de films, ventes aux enchères, etc. .   L'une des largeurs de ce rectangle était occupée par une tribune,  l'autre par une estrade.  Entre les deux, sur le parterre, on pouvait aligner quelques rangées de sièges rabattables.  Sur les deux longueurs du rectangle courait une galerie pour les spectateurs mobiles.  Quand il y avait projection de film, la salle des fêtes se transformait en salle de cinéma.  Au-dessus de l'estrade était tendue une immense toile de lin blanc, sur laquelle se déroulaient les aventures désopilantes de Charlot, de Buster ou de Beaucitron.
Au pied de l'estrade, sous l'écran, trônait un piano.  Cet instrument servait à accompagner musicalement les fims muets de l'époque.  L'officiant était un certain Monsieur Batifort.  Ce brave homme n'avait jamais appris la musique.  Il jouait à l'oreille, d'instinct.  Néanmoins, il s'acquittait honorablement de sa tâche et jouissait d'un certain prestige auprès de son auditoire populaire.  Dans les grands jours, il se lançait même, en virtuose, dans l'interprétation de Sur le beau Danube Bleu.
        Au temps de mon enfance, dans les années 1950, le Café Glacier existait toujours, mais sa salle des fêtes était devenue, définitivement, une salle de cinéma, le Star Ciné, dont j'aurai à reparler.  Mais auparavant, faisons une brève visite à l'autre café, le S.O.P. .  Rebaptisé aujourd'hui Ambiance Bar, c'était un établissement tenu par une vieille dame.  Elle gardait une réserve un peu bourrue au milieu des hommes, qui venaient chez elle boire un bock de bière ou un byrrh à l'eau de Seltz.  On y jouait à la manille, au truc*, on y lisait le journal.  Pépé Joseph avait l'habitude d'aller chez la vieille, le samedi soir, pour y lire L'Illustration, tout en dégustant le petit verre de fine, qui mettait sur la table de marbre comme un point final à la semaine de travail.


*jeu de cartes catalan.

Le Star Ciné.

       Revenons au cinéma de mon quartier, le Star Ciné.  A l'époque de mes jeunes années, on y voyait briller les derniers grands feux d'Hollywood : Les Quatre Plumes Blanches, avec Tyrone Power;  Carmen, avec Rita Hayworth;  Rebecca, avec Joan Fontaine et Laurence Olivier;  Picnic, avec Kim Novak et William Holden;  Le Grand Chef, avec Victor Mature;  Rivière sans Retour, avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum ...   On retenait surtout les noms des stars. Ceux des réalisateurs, pourtant prestigieux (Alfred Hitchcok, Otto Preminger, etc.), ne comptaient pas beaucoup à nos yeux éblouis par les belles images des affiches.  D'autres étoiles déclinaient au firmament hollywoodien et certaines étaient déjà mortes.  Ainsi, la comète James Dean qui avait laissé, après A l'Est d'Eden, Géant et surtout La Fureur de Vivre, une traîne ineffaçable de nostalgie et de désir d'imitation .  Johnny Weissmüller, le plus grand des Tarzan du cinéma, avait vieilli.  Il ne se balançait plus de liane en liane et ne poussait plus le cri de défi de l'homme-singe.  Désormais, ayant échangé le pagne contre la tenue du chasseur blanc, il progressait à travers la forêt équatoriale à coups de machette.  Je raffolais néanmoins des aventures de Jim-la-Jungle, que j'allais voir avec mon grand-père François le mercredi soir, veille du jour de repos hebdomadaire des écoliers d'alors.  Le Star projetait aussi des films à épisodes comme les Misérables, Le Comte de Monte-Cristo ou encore La Petite Porteuse de Pain, qui tirait des larmes aux braves familles du quartierLes grands burlesques étaient décimés.  Les anciens films de Laurel et Hardy faisaient encore recette, mais Oliver était mort et Stan ne tournait plus. Harold Lloyd et les Marx Brothers étaient passés à la trappe.  Les deux génies Charlie Chaplin et Buster Keaton, réunis pour la première et dernière fois dans Les Feux de la Rampe, exécutaient un numéro magistral de musiciens catastrophiques.  Mais, dans l'ensemble, c'était une morne traversée du désert comique.  Il y avait bien Les Trois Stogges, mais seuls nos quatorze ans nous faisaient rire de leurs gags et, en attendant un Jerry Lewis à venir, il fallait se contenter des inégales prestations de Fernandel et de Bourvil.
      Le vieux Star Ciné, que je retrouve quand j'entends La Dernière Séance d'Eddy Mitchell, a été mon premier vrai cinéma, celui qui m'initia aux divers genres filmiques et m'inculqua le goût puissant de l'écran.  Avant lui, je n'avais connu que les projections en images fixes des aventures de Tintin et Milou et les quelques films, pour la plupart muets, du patronage catholique Notre Foyer.  Je dois néanmoins à la vérité de dire que  c'est dans cette salle de projections du patronage que j'ai découvert Beaucitron et surtout Laurel et Hardy, qui me faisaient suffoquer de rire.